J’aurais dû m’en douter. J’avais tout prévu, pourtant : le jour, l’heure, le costume, les papiers, le vocalisateur, etc. Mais on oublie toujours un détail, et un détail peut parfois être… de taille !
Mais peut-on réellement prévoir l’imprévisible ? S’approcher au plus près, oui, bien sûr, n’est-ce pas le propre de la science ? Affiner, régler, préciser, toujours plus, réduire au minimum les incertitudes, diminuer les risques, éliminer le doute, et prendre une décision finale, parfois fatale : ça passe ou ça casse.
De mon côté, j’avais toujours eu tendance à peser le pour et le contre, prendre du recul (pour mieux sauter ?), envisager les points négatifs et les points libérateurs, tout cela au détriment d’une certaine spontanéité, d’un brin de fantaisie. J’étais tellement dans la projection, dans le futur immédiat, à court et moyen terme, qu’il m’en arrivait parfois d’oublier de vivre le temps présent, de contempler le « maintenant ». Et pire peut-être, je n’analysais sans doute pas suffisamment l’avenir à long terme, celui qui au soir de ma vie me ferait me retourner sur ce passé que j’habitais à l’heure actuelle, en me posant la question : « As-tu vécu ? »
Jusque-là, tout s’était parfaitement déroulé :
Masque
Gants noirs
Cagoule noire
Pistolet factice
Veste « Sécurité »
Boîtier modificateur de voix
Boîtier pour capter les fréquences
Mais si j’avais été plus vigilant, j’aurais dû me douter que quelque chose clochait après avoir appuyé sur l’interphone du portail de la villa. En effet, rétroactivement, on peut toujours refaire le monde ou extrapoler sur ce qui aurait pu ou dû se passer. Mais c’est sur le moment présent que l’on se doit d’être concentré, et c’est en amont que l’on doit envisager toutes les hypothèses.
Normalement, le comte cloué dans son fauteuil roulant aurait dû mettre près de deux minutes à se déplacer du salon où il se trouvait avant d’arriver près de son boîtier interphone. D’après mes conjectures basées sur une rigoureuse observation, le vieil homme devait tout juste émerger de sa sieste qui suivait un déjeuner froid composé de galette de sarrasin et de compote de mangue. Je suis sûr qu’il aurait préféré un repas chaud à cette époque de l’année, mais je l’imaginais mal faire un barbecue dans son salon.
Je fus brusquement tiré de mes pensées, car une vingtaine de secondes seulement s’étaient écoulées lorsqu’une voix nasillarde me demanda : « Qu’est-ce que c’est ? » Question très ouverte à laquelle j’avais heureusement ma réponse.
J’avais tout prévu, je vous dis, et ce micro-incident chronométrique ne me parut pas suspect. Je répondis, grâce à mon modificateur vocal, d’une voix tout aussi contrefaite : « C’est la sécurité, Monsieur le Comte.
Dernière édition par Pascal le Mar 13 Fév - 11:15, édité 2 fois